Ecrit par Anne Laudisoit, Parasitologue, membre de l’expédition de novembre-décembre 2010
School of Biological Sciences
University of Liverpool
« Le Makay , de roches et d’eau de sable
Le Makay, c’est ceux qui en voient le plus qui en savent le moins.
Pourquoi, oui pourquoi la terre s’est-elle plissée ici ?
Pourquoi la vie s’y est-elle faite si discrète ?
Elle s’y effrite quotidiennement à l’instar de ces falaises sinueuses qui sèment leur grain de sable aux humeurs des éléments.
Comment expliquer que le Makay brûle de mille feux alors que seule une poignée d’hommes s’y risque ?
Pourquoi n’y a-t-il pas, ou presque, de petits oiseaux prédateurs tandis que l’ombre des milans dessinent leurs silhouettes à tout vent sur nos pas ?
Peu de proies, peu de prédateurs et le plus fort, le plus agressif, le plus prolifique s’impose ?
Pourquoi si peu de diversité alors que l’isolement de cette enclave aux courbes sensuelles aurait du autoriser toute les folies de la création ?
Pourquoi la terre vue du ciel lui donne-t-elle l’apparence d’un cerveau irrigué de veines ramifiées où coule un sang ocre et siliceux d’un soupir continu mais traitre ?
Le Makay est magique mais les orages le fâchent, à moins que ce soient nous, les vazaha, qui n’avons pas sacrifié le zébu au moment où les ancêtres étaient affamés ?
Ont-ils assoiffés leurs pairs pour les punir ?
Il doit être 15h ou 16h lorsque la pluie s’abat à nouveau sur le camp.
Et la pression monte dans les veines de cet univers de roches creuses rongées par les vents,
les feux, les flots et les âges
Et les hommes tremblent…que sont-ils venus chercher ici ?
Les mémoires d’outre tombe ?
Les secrets des morts couchés aux premières loges de l’amphithéâtre minéral ou ils reposent depuis…
depuis quand d’ailleurs ?
Comment s’appelait le premier homme qui a foulé le Makay ?
Quand donc les gouffres encaissés furent-ils foulés de la Menampandaha à la-bas ?
Qui a découvert ses mystères et les a enfoui au fond des lavakas,
sous les cheminées de fée qui fument la brume matinale
comme un sioux le calumet de la paix ?
Les ancêtres sont ils enfin apaisés ?
Pourquoi le survol du Makay donne-t-il l’impression d’être une larme qui s’écoule sur les joues d’une peau ridée laissant apercevoir par transparence ses vertes artères de forêt luxuriante à l’agonie ?
Stigmates peut être d’une lointaine existence selvatique où résonnaient les chants des femmes à la tombée du jour…
Y eut-il de la forêt sur ces plateaux désertés, désertiques, étrangement silencieux
Quand le cimetière des hippopotames et des girafes a-t-il enterré son dernier ossement ?
Pourquoi n’ont-ils pas vu au-delà de la steppe, au-delà des rivières,
que le fossa deviendrait le roi de la jungle de ces lieux, pas de gazelles, pas d’antilopes,
un mirage,
un crocodile, comme unique témoignage des ultimes descendants vivants de l’histoire africaine de l’île rouge
Fossiles vivants tapis dans l’eau ferrugineuse des marigots grouillant de vie microscopique, introuvable, indomptable, secret telle la mémoire d’une terre à peine découverte
Tristesse, incompréhension, miroir de nos propres erreurs…le Makay interroge
J’ai rêvé d’un Makay où la vie s’ébattait loin des zébus et des rats,
loin des perches exotiques et des joncs envahissants,
j’ai rêvé d’un Makay aux plateaux couverts de forêt sèche,
où les lianes s’entremêleraient avec les rayons du soleil et les cris, les traces et les envols
Je me suis éveillée dans un monde perdu,
sables émouvants pour vous retenir
un monde esseulé noirci de ses brûlures
Un morceau d’écorce terrestre à l’abandon,
un refuge idéal pour les insectes et pour quelques rares poissons, mammifères
ou reptiles égarés dans ce dédale de mamelons tannés par la poussière des astres
Et l’on s’y enfonce davantage dans ces sables mouvants qui vous lient au détour d’une pierre d’un canyon endormi pour vous détacher d’un glissement lent mais tenace,
tel un signe de l’au-delà, de l’après, des conséquences,
un avertissement.
Sables mouvants, éboulis, chaos de blocs,
éden d’une forêt de bambous où jouent encore quelques Hapalemur naifs, innocents,
grimpant les roches ou sautant le long des crêtes avec les Lepilemur, les Eulemur et les Sifaka
Oui, pourtant, heureusement, l’espoir renait souvent,
un soupçon d’euphorie dans ce constat d’accident du territoire
une forêt relictuelle où évoluent des primates grimpant des rochers
une tortue qui tente de sortir sa grosse tête de sa carapace en voie d’extinction
un serpent gargantuesque aux écailles mauves,
une colonie de renards volant
une rumeur d’un rat géant sauteur
un plumeau blanc au bout d’une queue qui suscite l’émoi
un saut de puce pour l’humanité
une coordonnée géographique remarquable,
un trait de marqueur sur une carte,
un point de suspension dans les aires de distribution de telle ou telle espèce,
un cri d’alarme ou de joie.
Rien ne laisse indifférent ni la présence de tel être vivant ,
ni son absence révélatrice de bien des maux,
d’un dysfonctionnement crucial dont le diagnostic est ardu, extrapolé, espéré…
Une lecture des entrailles par ce qu’il en sort…
Peu de diversité, densité monospécifique faible à modérée,
une espèce prédominante, souvent introduite ou envahissante,
colonisatrice, appauvrissante.
Je suis perplexe devant ce sanctuaire de dômes fissurés,
plissé de ruisseaux et rus gorgés d’une envie de donner la vie
et frustrés par la stérilité de ces terres, de ces sols et de ces eaux qui les bercent et les emmènent dans les fonds des vallées
Unique paysage, unique expérience, unique sentiment de vulnérabilité mêlé de culpabilité
Là bas au cœur du Makay depuis quelques dizaines de jours, j’ignore encore s’il est bon ou pas de révéler ses secrets pour le préserver…mais je suis certaine que tôt ou tard les ancêtres nous répondront…
19:44 le 19 février 2011
« j’ignore encore s’il est bon ou pas de révéler ses secrets pour le préserver » … voilà une bonne question, la rapacité des hommes étant souvent plus destructrice que l’inverse.