A Madagascar, le zébu occupe un rôle important tant dans la vie des individus que pour les collectivités.
Origine
Le zébu (Bos taurus indicus) est un bovidé domestique descendant d’une sous-espèce indienne de l’aurochs.
L’espèce dite Aurochs « Bos primigenius » – dont sont issus les bovins domestiques – est apparue, il y a environ un demi-million d’années, sur le continent indien. Si elle est connue pour être à l’origine du Bos taurus qui a produit les specimen gascons et/ou bordelais introduits par Jean Laborde vers 1840 à Madagascar, elle est aussi considérée comme l’ancêtre du Bos indicus, i.e. les bœufs à bosse. Le Bos indicus qui trouverait son origine dans les steppes du grand désert de l’Iran aurait été domestiqué à Mehrgarh depuis 8 500 et 6 000 ans. Il aurait migré par la suite vers la Mésopotamie et l’Afrique via l’Arabie au cours du 2e millénaire av. J.-C (Payne et Wilson, 1999 et Henri Lhote, L’Extraordinaire aventure des Peuls). Ses capacités d’acclimatation lui ont alors permis de s’adapter à l’assèchement progressif d’une partie du continent. Une autre hypothèse penche pour une arrivée plus tardive de zébus indo-pakistanais amenés dans la corne de l’Afrique par les Arabes. Cette thèse est appuyée par des recherches sur la génétique moléculaire (Hanotte et autres, 2002) qui montre une diffusion rapide des gènes de zébus dans les populations autochtones. On le retrouve finalement dans la grande île dès le 5ème siècle et il occupe aujourd’hui plus de 90% du cheptel bovin malgache.
Une seconde arrivée beaucoup plus récente en Afrique date des années 1880. Des missionnaires italiens ont introduit des bovins européens afin d’augmenter le productivité en Érythrée. Avec eux, ils ont amené la peste bovine qui a décimé le cheptel local. Une importation massive a été faite depuis l’Inde afin de rendre aux populations locales leur moyen de subsistance. Depuis l’indépendance de l’Inde, les exportations de bovins ont cessé. La vache est sacrée dans ce pays, et leur voyage outre-mer n’est pas désiré.
Morphologie et aptitudes
Les formes et/ou les dimensions du bœuf peuvent être variables mais le zébu se caractérise plus par de longues cornes, une bosse adipeuse au niveau du garrot ainsi qu’une extension caractéristique de la peau sous la gorge. Cette peau ample, voire lâche sous le cou augmente la surface, permettant un meilleur échange thermique. Elle a également la faculté de vibrer comme celle des chevaux pour faire fuir mouches et taons.
La bosse graisseuse réhausse quant à elle le niveau du garrot, surtout chez les mâles. Cette bosse peut être petite ou grosse, droite ou tombante selon les races. Elle constitue une réserve calorique qui leur permet de supporter des périodes de “vaches maigres”.
Le zébu existe en couleurs aussi variées que celles du boeuf. Cependant, les couleurs rouge et gris clair sont majoritaires. Généralement, le poil est de couleur claire, lui permettant de supporter la chaleur. La peau est noire et minimise ainsi les risques de cancer. Sa résistance aux parasites externes est importante. Les oreilles sont de grande taille et souvent pendantes.
Selon les races et la richesse des pâturages, les individus peuvent peser de 200 kg à plus d’une tonne.
Les espèces malgaches
- Les Malia, terme par lequel on appelle parfois les zébus sauvages sont des animaux laissés longtemps en liberté par leurs propriétaires dans les forêts ou savanes boisées de certaines régions.
- Des premiers croisements avec des spécimens européens dès le 19ème siècle sont issus les bœufs dits Zafindraony « petits fils des nuages ».
- Alors que le Rana constitue le produit hétéroclite de divers croisements ultérieurs. La caractéristique générale du Rana est l’absence de bosse et c’est un animal essentiellement exploité pour sa production laitière.
- Le Baria constitue une sous-espèce « sauvage » pratiquement sans bosse et aux cornes arrondies et plus courtes que la moyenne des spécimen malgaches. Il est localisé notamment dans la région du sud ouest de Mahajanga.
- Le Renitelo (trois-mères) est par contre le produit d’un croisement artificiel récent. Ce zébu à robe rouge avec des flancs et des muqueuses aux teintes plus claires est néanmoins classé comme une race endémique alors qu’il est le résultat d’une expérience de croisement réalisé en 1930 dans la station de recherche de Kianjasoa.
Le Savika
Le sport national est le “savika”, sorte de tauromachie sans mise à mort du zébu. Le principe est de s’agripper avec ses mains sur la bosse du haut du dos du zébu et d’utiliser ses jambes comme des ressorts pour éviter de se faire piétiner par les pattes du zébu. Ce sport est dangereux. Ceux qui le pratiquent sont appelés les “zébus boys”. La pratique du vol de zébu peut aussi être considéré comme un sport national tant elle est répandue.
Le zébu, signe extérieur de richesse
Le zébu constitue pour le peuple malgache la principale richesse et représente un excellent placement, beaucoup plus sûr et pratique qu’une banque. Bien plus que les terres dans les régions à dominance pastorale, la possession d’un troupeau constitue un signe extérieur de richesse et de puissance. Sa valeur est cependant plus fondée sur des critères de relations sociales que sur des seuls critères de productivité économique. En certains endroits, l’importance sociale d’un individu et/ou d’une famille est encore plus ou moins directement proportionnelle au nombre de bœufs qui peuvent être sacrifiés lors de différentes pratiques rituelles. Il est souhaitable de posséder un grand nombre de bêtes afin de satisfaire aux rituels coutumiers qu’il est indispensable d’effectuer en de multiples occasions.
Offrir un bouvillon à un enfant ou un petit troupeau pour un couple revient à “signifier” que le bœuf est le symbole, par excellence, d’une certaine aptitude des individus à s’assumer et à être autonome. Le rôle social d’un bœuf est considérable. Dans les régions de l’Ouest et du Sud, un individu ne peut obtenir la considération associée à un homme s’il n’est pas possesseur d’un bœuf. Sur les hauts plateaux, celui qui ne dispose pas de bœufs pour piétiner la rizière doit casser les mottes de terre avec la bêche, à l’instar des esclaves d’antan.
Le zébu, le mariage et le vol
Par l’idée d’alliance qu’elle implique, l’union matrimoniale participe d’un rituel qui revêt une importance sociale et symbolique particulière. Il est d’usage chez les Bara pour qui le vol de bœufs constitue une pratique rituelle de présenter à la famille de l’élue un zébu dit “mazavaloha”(à la tête claire) qui sera sacrifié si les négociations aboutissent aux fiançailles. Chez les Antandroy, peuple de pasteurs, la demande en mariage s’accompagne directement de la remise de l’aombe sonia (donation d’un boeuf) au futur beau-père. En plus de ces bœufs qui constituent la dot proprement dite, il est d’usage que le jeune homme fournisse aussi les bœufs gras des joro « sacrifices annonçant alors le mariage aux ancêtres des deux clans. Dans les sociétés paysannes des hautes terres, l’accomplissement du ala-ondrana (sacrifices d’animaux avec inversion des parties du corps) est observé en cas d’unions endogames entre la parenté proche, notamment les enfants de frères et de sœurs.
Le sacrifice
Le bœuf correspond à l’animal sacrificiel par excellence qui fait honneur aux ancêtres. Or dans la société malgache traditionnelle, une maladie n’est jamais d’origine purement naturelle. Elle est en revanche toujours associée à la colère d’un ancêtre. Apaiser les ancêtres revient donc à sacrifier des zébus. Ce n’est en effet qu’en respectant les prescriptions – qui ont été transmises de génération en génération – qu’un malgache peut obtenir de ses ancêtres la protection et la bénédiction qui assurent sa survie dans un monde de forces invisibles et dangereuses. Afin de garantir la cohésion sociale, tout moindre écart doit être réparé par un rituel qui vise à apaiser (tromba…) voire chasser (bilo..) un esprit qui se manifeste alors que sa présence n’est pas attendue ni même souhaitée. Dans un rituel d’exorcisme de salamanga, le rituel comporte une course dans la montagne à laquelle participe le malade qui récite en même temps des litanies. Arrivé devant l’enclos à zébus, le possédé en choisit un, l’abat et boit son sang. Dans un rituel de bilo (en grand danger) qui dure une semaine, on sert au malade (le bilo) – qui est traité avec tous les honneurs – du « vody hena » (arrière-train), morceau de viande sacrée qui est traditionnellement réservé aux dignitaires. Le dernier jour du rituel, le malade est hissé sur une « kabarim-bilo » ou « kitrely », une estrade – fabriquée pour l’occasion – disposée à plus de deux mètres du sol. Un zébu que le bilo lui-même a désigné avec le baton « viky » – avec lequel on dévie le mal est ligoté et immédiatement saigné. On sert au bilo, installé sur l’estrade, le sang recueilli ainsi que le foie cuit du zébu immolé. Le reste de la viande est distribué aux membres de sa famille assemblée à ses pieds.
Mais sous peine d’entacher la cérémonie, les bœufs de sacrifice doivent correspondre à des caractéristiques spécifiques selon les circonstances. Les bœufs les plus prisés pour les sacrifices sont ceux qui paraissent les plus rares tels que les « omby volavita » (robe blanche et noire, tête blanche ; vaste ceinture blanche d’une épaule à l’autre, cuisses blanches), les omby volon-tsara (robe blanche et noire) et les vanga (larges taches blanches qui ne descendent pas sur les pattes) et les vanga (larges taches blanches qui ne descendent pas sur les pattes). A l’inverse, certains bœufs tels les vakivoho (bande blanche sur l’échine) et les vilanorotro ( tache sur le museau donnant l’apparence d’un bec de lièvre) sont déclarés impropres aux sacrifices
Le zébu et la mort
Si les liens entre la mort et les bœufs sont attestés partout, chez les Antandroy la pratique de l’élevage bovin est plus ou moins associée directement aux pratiques funéraires. Selon Callet, l’ombre du mort est réputé pousser celles des zébus vers le lieu où les défunts se rendent. Il est d’usage pour les Bara qu’un zébu accompagne le défunt et chez les Antandroy, c’était autrefois tout un troupeau entier -en l’occurrence celui du défunt- qui était décimé et entièrement consommé durant la veillée mortuaire, soit des semaines durant, voire des mois. Les têtes des animaux abattus vont traditionnellement servir de parures pour le tombeau de ce dernier. Chez les Mahafaly, ces bucranes s’accompagnent d’ aloalo , des poteaux sculptés aux divers motifs qui retracent les évènements saillants de la vie du défunt. Parmis les motifs qui ornent ces aloalo, on tend à représenter les zébus que le défunt possédait de son vivant.
Les funérailles donnent lieu à des repas mortuaires qui impliquent l’abattage de plusieurs bêtes.
La viande de zébu
Si pratiquement tout se mange dans le bœuf, la répartition des morceaux de viande est codifiée selon les régions. Le vodi-hena (l’arrière-train) et/ou la bosse était à une époque réservé à la personne royale et/ou à ses représentants. Au 19ème siècle, l’infraction à cette règle du vodi-hena pouvait entraîner autrefois la vente en esclavage du contrevenant ainsi que celle de sa femme et de ses enfants.
Si les morceaux et/ou les parties grasses d’un animal sont généralement réservés aux parents et/ou aux aînés, pour les Sakalava, on retrouve une pratique bien définie. Les gardiens d’une dépouille mortuaire se réservent le loha (tête) et les vity (membres) du/des zébus. De même, la poitrail, le vodihena ( partie postérieure) ainsi qu’une bonne partie de la bosse sont réservés aux charpentiers et aux chanteurs. Le reste est partagé entre la famille et les invités mais le jabora (suif) ne sera servi qu’au moment de la mise en bière et de la sépulture proprement dite. Faran’ny omby, hena… Le destin du bœuf, c’est d’être consommé/de servir de viande. La viande de bœuf a donné lieu à diverses techniques de préparation et/ou de conservation. Cela va de la production de lanières de viande séchée(kitoza) à celle du varanga » en passant par le jaka, viande spécialement préparée et conservée dans la graisse qui est conservé d’un Fandroana à un autre. En pays Sakalava et/ou Tsimihety, on obtient le maskita qui correspond plus ou moins au kitoza par un procédé de séchage au soleil ou par fumage au feu de l’âtre.
Les produits dérivés
- Lorsqu’une exploitation laitière intensive occidentale est mise en place, leur productivité égale presque celle des bovins européens, mais dans des milieux climatiques où les zébus seuls peuvent être rentables.
- Autrefois, du moins jusqu’à la fin du 19ème siècle, on ne concevait pas de vendre la viande de zébu sans la peau qui pouvait autrefois être consommée. Certaines parties de la peau peuvent servir à la réalisation d’anneaux de cuir, voire de sandales. La peau du flanc est particulièrement prisée pour la réalisation de tambours.
- Les cornes ne sont pas seulement récupérées comme réceptacles principaux de charmes (fitoeran’ody, mohara etc) ou de récipients à usage divers. Elles peuvent également servir de manches de couteau à riz, etc.
- Même les éclats de tibias (taolana), taillés en poinçons, servent encore en certains endroits de l’île à séparer les mèches de cheveux des femmes.
- Outre la réalisation de chandelles de suif, que l’on remplace avantageusement de nos jours par des bougies, la graisse du zébu constitue un excipient naturel qui sert à l’entretien des objets (manche de l’angady) voire des cheveux des femmes et protège également de la rouille. Plus généralement, il est d’usage de frotter les pierres tombales, voire les vatolahy avec de la graisse animale réputée faire plaisir aux ancêtres et/ou aux esprits.
- Le ranomena obtenu à partir de la poudre d’os est paraît-il un produit aux vertus universelles.
- Mais l’usage le plus courant est la récupération de la bouse de vache qui sert pour la confection de murs selon la technique dite du ritso-peta. Dans la région rizicole du centre, on l’utilise encore de nos jours pour lisser le sol en vue de la préparation du séchage des grains de riz.
Pour en savoir plus encore et connaître les références bibliographiques, n’hésitez pas à lire le dossier complet de Lily RAHAROLAHY “Le boeuf dans la société traditionnelle malgache”